L’herboristerie, pourquoi elle dérange ?

Herboristerie : apprendre à soigner avec les plantes

C’est un fait, les français s’intéressent de plus en plus aux plantes médicinales. La preuve en est que le sénat a lancé une mission pour réfléchir à la filière et au métier d’herboriste dont le rapport vient d’être rendu. Si les membres de la commission se sont entendus sur la nécessité de réintégrer les plantes dans le système de santé, la question reste entière : le métier d’herboriste va-t-il renaître ? Pas si sûr … Pour y voir plus clair revenons sur la disparition progressive du métier d’herboriste. Dans cet article vous verrez pourquoi l’herboristerie a tant dérangé et comment sa disparition est le reflet d’une lutte contre un savoir populaire, d’ailleurs souvent porté par les femmes.

Mais qu’est-ce que Pétain avait à faire de l’herboristerie ?

Le maréchal Pétain en 1941 avait sans doute d’autres préoccupations plus prioritaires que la suppression du diplôme d’herboriste. Pour comprendre cette décision il faut remonter en arrière au début du 19 ème siècle : la société est en pleine mutation, c’est le début de la révolution industrielle. D’une société agraire et artisanale nous avançons vers une société industrielle et urbaine. La science est en plein essor et les procédés thérapeutiques évoluent.

La révolution de la chimie thérapeutique

Dans la première moitié du 19ème, avec la révolution chimique, de nombreux principes actifs des végétaux sont isolés. C’est par exemple la création de la morphine, par dérivé de l’opium ; la découverte de la quinine utilisée pour lutter contre la malaria ou encore de la caféine. Une fois les principes actifs identifiés, les remèdes végétaux sont rapidement remplacés par de nouvelles molécules. Celles-ci sont puissantes et nécessitent d’être dosées avec soin. La production de médicaments s’organise, on voit arriver à la fin du 19ème les pilules et les comprimés. Les médecins prescrivent ces médicaments au détriment des plantes médicinales.

Au début du 20 ème siècle, les vaccins sont mis au point permettant de faire reculer la tuberculose – la maladie emblématique du 19ème siècle.  C’est l’âge d’or de la chimie, de la médecine et la naissance de l’allopathie.

Une ancienne publicité pour l'aspirine

L’aspirine est produite à partir de l’acide salicylique que l’on trouve dans l’écorce de saule blanc et la reine des prés. C’est un des premiers best sellers des laboratoires pharmaceutiques. Source : pinterest

Les plantes reléguées aux remèdes de bonne-femmes

Le recul des plantes médicinales est aussi une affaire de mode et de prestige pour la profession médicale.

Le recours aux ‘remèdes’, c’est-à-dire aux plantes médicinales est associé aux classes paysannes, aux ‘bonnes femmes’.  Elles sont accusées d’être peu efficaces et chères. La production de plantes médicinales en France décline peu à peu. Les drogues végétales passent pour une pratique associée au passé. D’ailleurs l’apothicaire devient à cette époque pharmacien…

Pourtant jusqu’aux années 1930 on trouve encore de nombreux végétaux dans les médicaments.

La pharmacie s’organise et la profession d’herboriste est encadrée

En 1803 la pharmacie est totalement réorganisée : une loi réaffirme le monopole des pharmaciens et organise la formation des pharmaciens. En parallèle, elle définit les droits des herboristes et les soumets à l’obtention d’un certificat. Pour obtenir le droit d’exercer, les herboristes doivent prouver à un jury médical (pharmaciens et médecins) qu’ils connaissent l’usage des plantes médicinales. Ils ont alors le droit de vendre des plantes sèches ou fraîches.

Mais qui a le droit de vendre des mélanges à visée thérapeutique ?

Un ancien herbier

Un ancien herbier

Le débat commence entre pharmaciens et herboristes sur les mélanges de plantes. La question est rapidement tranchée en faveur du monopole pharmaceutique. Les herboristes n’étant autorisés qu’à vendre des plantes brutes sans pouvoir faire de mélanges. Toutefois, les préparations médicinales vendues en pharmacie sont aussi règlementées et limitées à celles référencées.

En 1854 la profession d’herboriste est encadrée. Elle fait l’objet d’un enseignement scientifique dans les écoles de Médecine. Mais dans la pratique cet enseignement est difficilement accessible aux candidats herboristes. En 1926, la Fédération Nationale des Herboristes de France crée une première école à Paris pour faciliter l’accès au savoir nécessaire à l’exercice de la profession.

Dès lors, et jusqu’au régime de Vichy, les herboristes sont peu à peu reconnus comme compétents, au même titre que les pharmaciens, pour vendre des plantes pour un usage médicinal. Ce qui pose problème.

Le coup fatal est porté par le régime de Vichy

Le secteur pharmaceutique vivait alors des jours difficiles et les médecins reprenaient la mauvaise habitude de prescrire des remèdes à base de plantes …

Par la loi du 11 septembre 1941, le régime de Vichy décide qu’il ne sera plus délivré de diplôme d’herboriste. Il donne ainsi le monopole de la vente de plantes aux pharmaciens. On aurait pu croire qu’après la guerre, le gouvernement aurait abrogé cette loi, mais il n’en est rien. Et en 1945 le monopole pharmaceutique est confirmé avec la création de l’Ordre des Pharmaciens. La profession perdure tant que vivront les derniers herboristes …

Une des dernières herboristeries à Paris, place de Clichy

Une des dernières herboristeries à Paris, place de Clichy. Source : Wikipedia

L’histoire ne s’arrête pas là. Par la suite le prix des spécialités utilisant des plantes est bloqué, provoquant la chute de la production nationale de plantes aromatiques et médicinales. Puis ce sont les préparations à base de plantes qui sont dé remboursées et disparaissent des officines.

Une longue histoire qui reflète la domination d’une classe dirigeante et masculine

Comme nous venons de le voir, l’abrogation du diplôme d’herboriste par le Maréchal Pétain en 1941 n’est que le résultat d’une longue marche vers l’industrialisation, la chimie et la rupture avec le monde agricole. Il faut y voir aussi le résultat de la suprématie d’une classe dirigeante, érudite et principalement masculine.

Un rejet du savoir populaire, une lutte contre les femmes

Avec l’herboristerie on a voulu opposer les modernes et les anciens, la science contre la terre. J’y vois autre chose. Dans l’histoire, la lutte contre l’herboristerie c’est aussi une lutte contre les femmes, car les herboristes ont toujours été en majorité des femmes. On pense aux sorcières qui concoctaient leurs remèdes, aux guérisseuses dans les villages, et aux femmes tout simplement qui se transmettaient le savoir des plantes de génération en génération.

Les sorcières dans l’histoire détenaient le savoir de l’usage des plantes médicinales
Magic Circle, by John William Waterhouse – Tate Gallery

Et pourtant, pour reprendre Hippocrate :

 Il ne faut pas rougir d’emprunter au peuple ce qui peut être utile à l’art de guérir.

La liberté de choisir une hygiène de vie différente

Je déplore que nous ayions ainsi perdu le lien avec la nature, avec les choses simples et peu transformées. Nous sommes devenus dépendants de médicaments de synthèse, d’antibiotiques. A chaque problème, une solution médicamenteuse!

Fort heureusement, plusieurs tentatives de réhabilitation de l’herboristerie ont vu le jour depuis les années 70, sous l’impulsion de députés ou d’associations. Citons le syndicat des S.I.M.P.L.E.S, créé en 1982 dans les Cévennes ou l’association pour le renouveau de l’herboristerie. Les années 80 voient également la naissance d’écoles d’herboristerie (l’école des Plantes à Paris, L’école Lyonnaise des Plantes), signe d’une demande croissante pour se réapproprier ces savoirs ancestraux.

Pour le renouveau de l’herboristerie

148 plantes ont été libérées du monopole pharmaceutique en 2008, si elles ne bénéficient d’aucune allégation de santé.

En 2011, la proposition de Jean-Luc Fichet sur l’herboristerie (il était alors sénateur du Finistère), de créer un diplôme et d’organiser la profession d’herboriste n’a pas abouti. La même année, une directive européenne entre en vigueur pour un enregistrement simplifié des médicaments à base de plantes. Celle-ci vise à faire tomber ces médicaments dans le domaine de la pharmacie et non du complément alimentaire. La guerre continue …

Et si j’en crois le bruit qu’a fait une pétition pour la défense des huiles essentielles, reprenant de vraies et de fausse allégations sur l’interdiction de vente de certaines huiles essentielles en dehors des pharmacies, les indications d’un herboriste professionnel sont plus que jamais nécessaires pour nous guider dans la gestion de notre santé. Au passage, lisez cet article pour dénouer le vrai du faux sur cette pétition « menace sur les huiles essentielles ».

Pour conclure, je suis heureuse de voir l’engouement croissant de notre société pour les alternatives naturelles, l’aromathérapie, la naturopathie mais aussi pour les soins du corps naturels et les savons … Je suis convaincue que l’herboristerie a encore de beaux jours devant elle, et qu’avec elle nous apprendrons à nos enfants à porter un autre regard sur le monde végétal.

Le jardin est une officine dont nous devrions nous servir plus souvent.
Professeur Léon Binet, médecin

Et vous, où en êtes-vous avec les plantes médicinales ? Vous les utilisez comment pour vous soigner ?

Sources :

Secrets d’une herboriste. Marie-Antoinette Mulot

Plaidoyer pour l’herboristerie, comprendre et défendre les plantes médicinales. Thierry Thévenin.

Histoire de l’herboristerie, Cap Santé.

Article : Herboriste, un métier d’avenir encore illégal en France

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